Page:Swift - Le Conte du tonneau - tome 1 - Scheurleer 1732.djvu/316

Cette page a été validée par deux contributeurs.
274
LE CONTE

quels terribles faux-pas ne font point les hommes tous les jours, avec toute leur mondaine prévoïance ? Dailleurs, les yeux de l’entendement voient le mieux quand ceux de la chair ſont écartez du chemin : c’eſt pourquoi l’on obſerve, que les aveugles marchent avec plus de conduite, plus de précaution, & plus de jugement, que ceux, qui mettent tant de confiance dans leur Faculté viſuelle, que le moindre accident dérange, & que la moindre humeur, la moindre membrane, détruiſent pour jamais. La vue reſſemble à une lanterne, rencontrée dans la ruë par une bande de Bréteurs ivres, & qui expoſe celui qui la porte, & ſon propre individu, à des ſouflets, & à des coups de pied, qu’ils auroient évitez l’un & l’autre, ſi l’envie de paroitre leur avoit permis de marcher dans les ténébres. Helas ! toutes ces lumieres, dont on vante tant l’utilité méritent, par leur mauvaiſe conduite un ſort encor plus malheureux que celui qu’ils s’attirent journellement. Il eſt vrai, que je viens de me caſſer le nez contre ce poteau, parce que la Providence n’a pas trouvé bon de me tirer par la manche, & de m’avertir d’en éviter la rencontre ; mais, que cet