Page:Swift - Le Conte du tonneau - tome 1 - Scheurleer 1732.djvu/240

Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
LE CONTE

& bientôt, continuant ſon vol avec la même précipitation, mais ſans connoître la route, il tombe juſqu’au fond des abîmes : ſemblable à un voïageur, qui parcourt les mers de l’Eſt juſqu’à l’Oueſt ; ou à une grande perche d’un bois-ſouple, qui, plus il eſt étendu, & plus il ſe courbe en arc de cercle.

La cauſe de ce déreglement de notre eſprit eſt peut-être dans ce fond de malice né avec nous, qui nous porte d’ordinaire à joindre aux idées les plus nobles celles, qui leur ſont préciſement contraires. Peut-être eſt-elle, dans les bornes de notre Raiſon, qui, portant ſes reflexions ſur toute la maſſe des choſes, reſſemble au Soleil, qui, n’éclairant que la moitié de notre Globe, laiſſe l’autre couverte de ténèbres. Peut-être la faut-il chercher dans la foibleſſe de notre Imagination, qui, emploïant toutes ſes forces pour s’élever à ce qu’il y a de plus grand & de meilleur, fatigué, à la fin, & n’en pouvant plus, tombe tout d’un coup à terre, comme un oiſeau de paradis qui vient de mourir au milieu de l’air. Peut-être auſſi, que parmi toutes ces Conjectures Metaphyſiques il n’y en a