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LE CONTE

l’égard de celui où nous le voïons préſentement.

Par le mot Critiques, ſi uſité dans nos converſations d’aujourdhui, on a entendu autrefois trois eſpeces d’hommes fort differentes, ſelon ce que j’en ai pu découvrir dans les livres, & dans les brochures des Anciens. Ce terme deſigna d’abord des perſonnes, qui s’occupoient à inventer & à établir certaines regles, pour eux-mêmes, & pour le public, par l’obſervation deſquelles un Lecteur judicieux pouvoit ſe rendre capable de décider des productions des ſavans, entrer dans le vrai goût du ſublime & du merveilleux, & diſtinguer les veritables beautez du ſtile ou de la matiere, d’avec le faux brillant qui les imite. Ils s’efforçoient, dans leurs Lectures, à remarquer ce que les livres avoient de défectueux, l’inutilité, la fadeur, l’abſurdité. Mais, ils s’y prenoient avec la même précaution, dont ſe ſert un homme, qui paſſe par une ruë ſale. S’il jette un œil attentif ſur les tas de bouë qu’il rencontre en ſon chemin, ce n’eſt pas dans le deſſein d’en examiner la couleur, d’en prendre les dimenſions, d’y gouter, ou de s’y vautrer ; c’eſt uni-