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ne laissant pas de quoi se faire enterrer. Swift fut donc réduit à vivre jusqu’à sa majorité des bienfaits de deux de ses oncles paternels ; et l’un d’eux, à ce qu’il paraît, lui fit sentir que le poids de la reconnaissance n’était pas une pure métaphore.

La vie de collège, la condition subalterne de secrétaire, puis l’état de prêtre, qui n’était pas précisément sa vocation, il me semble, furent pour lui autant de fils qu’on pourrait, sans hyperbole, appeler des chaînes. Et quelle chaîne que la hiérarchie anglaise pour ce fanatique de l’égalité ! Quelles chaînes que les mille conventions de cette société factice pour cet impitoyable ennemi de toute hypocrisie ! Et comme si ce n’était point assez de tant d’entraves, il fallut que l’amour, irrité de voir nier son empire, y joignît les siennes.

L’analogie entre la réalité et la fiction ne s’arrête pas à ce symbole fameux ; la vie de Swift ne fut pas moins féconde en antithèses que celle de son nain-géant.

Ce futur génie, dont la précocité ne peut être mise en doute, puisque ce fut à l’université qu’il esquissa la satire rabelaisienne connue en France sous le nom (fort impropre) de Conte du tonneau, n’obtint le degré de bachelier ès arts que par grâce spéciale  ; et ce fut aussi par grâce spéciale, on peut le dire, que sir William Temple le garda comme secrétaire, car il ne le trouvait pas suffisant pour l’emploi.

Ce même Temple, autre contraste, lorsque Swift le quitta pour prendre possession d’un bénéfice en Irlande, n’a de cesse qu’il ne revienne, et non seulement ne veut