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crotté par vos souliers sales, que de gâter votre livrée et d’attraper un rhume.

Il n’est pas d’humiliation aussi grande pour un homme dans votre position que d’éclairer votre maître dans les rues avec une lanterne : c’est pourquoi il est de très bonne politique d’user de toute espèce d’artifices pour l’éviter ; d’ailleurs, cela montre que votre maître est pauvre ou avare, les deux pires défauts que vous puissiez rencontrer dans aucun service. En pareille circonstance, j’ai eu recours à plusieurs sages expédients que je vous recommande ici. Une fois, je pris une chandelle si longue, qu’elle atteignait le haut de la lanterne et qu’elle la brûla ; mais mon maître, après m’avoir bien rossé, m’ordonna d’y coller du papier. J’employai ensuite une chandelle moyenne, mais je l’assujettis si mal dans la bobèche qu’elle penchait toute et brûla tout un côté de la corne. Puis je mis un bout de chandelle d’un demi-pouce qui s’enfonça dans la bobèche et la désouda, et força mon maître de faire la moitié du chemin dans l’obscurité. Alors il me fit mettre deux pouces de chandelle à l’endroit où était la bobèche, après quoi je fis semblant de trébucher, éteignis la chandelle, et mis en pièces toute la partie de fer blanc : à la fin, il fut forcé d’employer un petit garçon pour porter sa lanterne, par une économie bien entendue.

Il est bien déplorable que les gens de notre condition n’aient que deux mains pour porter les assiettes, les plats, les bouteilles, etc., hors de la salle pendant les repas ; et le malheur est d’autant plus grand, qu’une de