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danger. Mais, que voulez-vous ? Swift n’était point un fat ; et en tout cas l’imprévoyance n’est point un crime.

Ce qu’il y a de positif, c’est qu’il fut très malheureux d’une confidence qui aurait flatté la vanité de tant d’autres ; et que, bien résolu de ne pas faire à sa pupille le chagrin d’épouser une fille qui, par son éducation, son caractère, sa position dans le monde, lui convenait mieux à tous égards, il s’en revint courageusement en Irlande, après avoir annoncé à Vanessa son intention d’oublier l’Angleterre et de lui écrire aussi rarement que possible.

Mais la fatalité voulut que, lorsqu’il eut exécuté ce plan douloureux, Esther Vanhomrigh arriva tout-à-coup à Dublin. Sa mère était morte, et elle avait dans le voisinage une terre, Marley-Abbey, où elle venait s’établir avec sa jeune sœur.

Que faire ? Interdire à cette orpheline le séjour de l’Irlande, Swift n’en avait pas le droit ; il n’en aurait pas eu probablement le courage. Il fit ce qu’auraient fait la plupart de ceux qui le blâment ; après bien des représentations et des efforts inutiles, il se lassa de chagriner ce cœur amoureux et laissa faire au temps. Puis, comment ne pas chercher à la dédommager de ce qu’il croyait devoir lui refuser, par toutes les marques d’affection et de reconnaissance qu’il est si naturel de donner à qui nous aime ? Mais ce système de ménagements n’avait pas seulement l’inconvénient d’entretenir dans l’âme de Vanessa des espérances illusoires ; il éveilla la jalousie de Stella. Elle tomba dans une mélancolie profonde dont elle avoua deux causes à l’évêque de Clogher, chargé par Swift de la