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toutes ses espérances, comme toute son affection, se concentrent sur Swift.

Mais lui, qui avait vingt ans de plus qu’elle, et qui, tout en se plaisant dans la société des femmes, ne paraît pas avoir été de nature fort amoureuse, n’eut pas l’idée qu’un homme de son âge et de son caractère pût être dangereux pour un jeune cœur ; et cette passion, considérée sans doute comme une fantaisie de pensionnaire, ne lui sembla pas exiger le remède héroïque d’une rupture de leurs relations. Ces relations continuèrent sur le pied de l’amitié ; on en a la preuve dans la correspondance qu’il entretient de Londres avec elle sous forme de journal, document précieux où il pense tout haut, et qui, plein d’abandon, ne dépasse jamais les bornes de la tendresse paternelle. Seulement, vers la fin de ce journal, on remarque du refroidissement et de la gêne.

C’est qu’à cette époque Swift était en relation avec une autre Esther, miss Vanhomrigh, dont il s’était fait aussi le précepteur, qui avait reçu aussi de lui le baptême poétique sous le nom de Vanessa, et qui, elle aussi, n’avait pas su résister à cette séduction involontaire.

Mais, plus hardie que sa rivale, Vanessa fit à Swift l’aveu de son amour. Surpris et tourmenté d’un résultat qu’il se reprochait de n’avoir pas prévu, il essaya de la déterminer à se contenter de l’offre de son amitié ; mais sa résistance ne fit qu’irriter une passion ardente, une nature opiniâtre.

Il est aisé de faire, après coup, un crime à Swift de son imprévoyance. Un fat, assurément, aurait pressenti le