Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/414

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ma femme et toute ma famille, en me revoyant, me témoignèrent leur surprise et leur joie : comme ils m’avaient cru mort, ils s’abandonnèrent à des transports que je ne puis exprimer. Je les embrassai tous assez froidement, à cause de l’idée d’yahou qui n’était pas encore sortie de mon esprit ; et pour cette raison je ne voulus point d’abord coucher avec ma femme.

Du premier argent que j’eus, je l’employai à acheter deux jeunes chevaux, pour lesquels je fis bâtir une fort belle écurie, et auxquels je donnai un palefrenier du premier mérite, que je fis mon favori et mon confident. L’odeur de l’écurie me charmait, et j’y passais tous les jours quatre heures à parler à mes chers chevaux, qui me rappelaient le souvenir des vertueux Houyhnhnms.

Dans le temps que j’écris cette relation, il y a cinq ans que je suis de retour de mon dernier voyage, et que je vis retiré chez moi. La première année je souffris avec peine la vue de ma femme et de mes enfans, et ne pus presque gagner sur moi de manger avec eux. Mes idées changèrent dans la suite ; et aujourd’hui je suis un homme ordinaire, quoique toujours un peu misanthrope.