que je lui donnasse ma parole d’honneur de rester avec lui pendant tout le voyage, sans songer à attenter sur ma vie ; qu’autrement il m’enfermerait jusqu’à ce qu’il fût arrivé à Lisbonne. Je lui promis ce qu’il exigeait de moi ; mais je lui protestai en même temps que je souffrirais plutôt les traitemens les plus fâcheux que de consentir jamais à retourner parmi les yahous de mon pays.
Il ne se passa rien de remarquable pendant notre voyage. Pour témoigner au capitaine combien j’étais sensible à ses honnêtetés, je m’entretenais quelquefois avec lui par reconnaissance, lorsqu’il me priait instamment de lui parler, et je tâchais alors de lui cacher ma misanthropie et mon aversion pour tout le genre humain. Il m’échappait néanmoins de temps en temps quelques traits mordans et satiriques, qu’il prenait en galant homme, ou auxquels il ne faisait pas semblant de prendre garde. Mais je passais la plus grande partie du jour seul et isolé dans ma chambre, et je ne voulais parler à aucun de l’équipage. Tel était l’état de mon cerveau, que mon commerce avec les Houyhnhnms avait rempli d’idées sublimes et philosophiques. J’étais dominé par une misanthropie insurmontable ; semblable à ces sombres esprits, à ces farouches solitaires, à ces censeurs méditatifs,