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aussitôt à le visiter, ils connurent sans peine que celui à qui il appartenait n’était pas loin. Quatre d’entre eux, bien armés, cherchèrent de tous côtés aux environs, et enfin me trouvèrent couché la face contre terre derrière la roche. Ils furent d’abord surpris de ma figure, de mon habit de peaux de lapins, de mes souliers de bois et de mes bas fourrés. Ils jugèrent que je n’étais pas du pays, où tous les habitans étaient nus. Un d’eux m’ordonna de me lever, et me demanda en langage portugais qui j’étais. Je lui fis une profonde révérence, et je lui dis dans cette même langue, que j’entendais parfaitement, que j’étais un pauvre yahou banni du pays des Houyhnhnms, et que je le conjurais de me laisser aller. Ils furent surpris de m’entendre parler leur langue, et jugèrent par la couleur de mon visage que j’étais un Européen ; mais ils ne savaient ce que je voulais dire par les mots de yahou et de houyhnhnm ; et ils ne purent en même temps s’empêcher de rire de mon accent, qui ressemblait au hennissement d’un cheval.

Je ressentais à leur aspect des mouvemens de crainte et de haine, et je me mettais déjà en devoir de leur tourner le dos et de me rendre dans mon canot, lorsqu’ils mirent la main sur moi, et m’obligèrent de leur dire de quel pays