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une situation mille fois plus heureuse que celle d’un premier ministre. J’avais une horreur extrême de retourner en Europe, et d’y être obligé de vivre dans la société et sous l’empire des yahous. Dans cette heureuse solitude que je cherchais, j’espérais passer doucement le reste de mes jours enveloppé de ma philosophie, jouissant de mes pensées, n’ayant d’autre objet que le souverain bien, ni d’autre plaisir que le témoignage de ma conscience, sans être exposé à la contagion des vices énormes que les Houyhnhnms m’avaient fait apercevoir dans ma détestable espèce.

Le lecteur peut se souvenir que je lui ai dit que l’équipage de mon vaisseau s’était révolté contre moi, et m’avait emprisonné dans ma chambre ; que je restai en cet état pendant plusieurs semaines, sans savoir où l’on conduisait mon vaisseau, et qu’enfin l’on me mit à terre sans me dire où j’étais. Je crus néanmoins alors que nous étions à dix degrés au sud du cap de Bonne-Espérance, et environ à quarante-cinq de latitude méridionale. Je l’inférai de quelques discours généraux que j’avais entendus dans le vaisseau au sujet du dessein qu’on avait d’aller à Madagascar. Quoique ce ne fût là qu’une conjecture, je ne laissai pas de prendre le parti de cingler à l’est, espérant mouiller