de ne point voir arriver la compagnie au temps marqué. Enfin l’épouse, accompagnée de ses deux enfans, se rendit au logis, mais un peu tard, et dit en entrant qu’elle priait qu’on l’excusât, parce que son mari venait de mourir ce matin d’un accident imprévu. Elle ne se servit pourtant pas du terme de mourir, qui est une expression malhonnête, mais de celui de shnuwnh, qui signifie à la lettre aller retrouver sa grand’mère. Elle fut très-gaie pendant tout le temps qu’elle passa au logis, et mourut elle-même gaîment au bout de trois mois, ayant eu une assez agréable agonie.
Les Houyhnhnms vivent la plupart soixante-dix et soixante-quinze ans, et quelques-uns quatre-vingts. Quelques semaines avant que de mourir, ils pressentent ordinairement leur fin, et n’en sont point effrayés. Alors ils reçoivent les visites et les complimens de tous leurs amis, qui viennent leur souhaiter un bon voyage. Dix jours avant le décès, le futur mort, qui ne se trompe presque jamais dans son calcul, va rendre toutes les visites qu’il a reçues, porté dans une litière par ses yahous : c’est alors qu’il prend congé dans les formes de tous ses amis, et qu’il leur dit un dernier adieu en cérémonie, comme s’il quittait une contrée pour aller passer le reste de sa vie dans une autre.