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ni dans un jargon précieux, ni dans des pointes épigrammatiques, ni dans des subtilités obscures, ni dans des antithèses puériles, ni dans les agudezas des Espagnols, ni dans les concetti des Italiens, ni dans les figures outrées des Orientaux. L’agrément et la justesse des similitudes, la richesse et l’exactitude des descriptions, la liaison et la vivacité des images, voilà l’essence et le caractère de leur poésie. Mon maître me récitait quelquefois des morceaux admirables de leurs meilleurs poèmes ; c’était en vérité tantôt le style d’Homère, tantôt celui de Virgile, tantôt celui de Milton[1].

Lorsqu’un Houyhnhnm meurt, cela n’afflige ni ne réjouit personne. Ses plus proches parens et ses meilleurs amis regardent son trépas d’un œil sec et très-indifférent. Le mourant lui-même ne témoigne pas le moindre regret de quitter le monde ; il semble finir une visite, et prendre congé d’une compagnie avec laquelle il s’est entretenu long-temps. Je me souviens que mon maître ayant un jour invité un de ses amis avec toute sa famille à se rendre chez lui pour une affaire importante, on convint de part et d’autre du jour et de l’heure. Nous fûmes surpris

  1. Poète anglais, auteur du Paradise lost, c’est-à-dire du Paradis perdu, poème fameux et très-estimé en Angleterre.