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prudente fantaisie de se servir des yahous, avaient mal à propos négligé l’usage des ânes, qui étaient de très-bons animaux, doux, paisibles, dociles, soumis, aisés à nourrir, infatigables, et qui n’avaient d’autre défaut que d’avoir une voix un peu désagréable, mais qui l’était encore moins que celle de la plupart des yahous.

Plusieurs autres sénateurs ayant harangué diversement et très-éloquemment sur le même sujet, mon maître se leva et proposa un expédient judicieux, dont je lui avais fait naître l’idée. D’abord il confirma la tradition populaire par son suffrage, et appuya ce qu’avait dit savamment sur ce point d’histoire l’honorable membre qui avait parlé avant lui. Mais il ajouta qu’il croyait que ces deux premiers yahous dont il s’agissait étaient venus de quelque pays d’outre-mer, et avaient été mis à terre, et ensuite abandonnés par leurs camarades ; qu’ils s’étaient d’abord retirés sur les montagnes et dans les forêts ; que, dans la suite des temps leur naturel s’était altéré ; qu’ils étaient devenus sauvages et farouches, et entièrement différens de ceux de leur espèce qui habitent des pays éloignés. Pour établir et appuyer solidement cette proposition, il dit qu’il avait chez lui, depuis quelque temps, un yahou très-extraordinaire,