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était possible que nous disputassions quelquefois, et que nous fussions rarement du même avis. La raison, disait-il, n’est-elle pas immuable ? La vérité n’est-elle pas une ? Devons-nous affirmer comme sûr ce qui est incertain ? Devons-nous nier positivement ce que nous ne voyons pas clairement ne pouvoir être ? Pourquoi agitez-vous des questions que l’évidence ne peut décider, et où, quelque parti que vous preniez, vous serez toujours livrés au doute et à l’incertitude ? À quoi servent toutes ces conjectures philosophiques, tous ces vains raisonnemens sur des matières incompréhensibles, toutes ces recherches stériles et ces disputes éternelles ? Quand on a de bons yeux, on ne se heurte point ; avec une raison pure et clairvoyante, on ne doit point contester ; et, puisque vous le faites, il faut que votre raison soit couverte de ténèbres, ou que vous haïssiez la vérité.

C’était une chose admirable que la bonne philosophie de ce cheval : Socrate ne raisonna jamais plus sensément. Si nous suivions ces maximes, il y aurait assurément en Europe moins d’erreurs qu’il y en a. Mais alors que deviendraient nos bibliothèques ? que deviendraient la réputation de nos savans et le négoce de nos libraires ? La république des lettres ne serait que celle de la raison, et il n’y aurait