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bien nourris, bien couchés, traités doucement par leurs maîtres, et pleins de santé et de force, ils tombent tout-à-coup dans un abattement, dans un dégoût, dans une mélancolie noire qui les rend mornes et stupides. En cet état ils fuient leurs camarades, ils ne mangent point, ils ne sortent point, ils paraissent rêver dans le coin de leur loge et s’abîmer dans leurs pensées lugubres. Pour les guérir de cette maladie, nous n’avons trouvé qu’un remède, c’est de les réveiller par un traitement un peu dur, et de les employer à des travaux pénibles. L’occupation que nous leur donnons alors met en mouvement tous leurs esprits, et rappelle leur vivacité naturelle. Lorsque mon maître me raconta ce fait avec ses circonstances, je ne pus m’empêcher de songer à mon pays, où la même chose arrive souvent, et où l’on voit des hommes comblés de biens et d’honneurs, pleins de santé et de vigueur, environnés de plaisirs et préservés de toute inquiétude, tomber tout-à-coup dans la tristesse et dans la langueur, devenir à charge à eux-mêmes, se consumer par des réflexions chimériques, s’affliger, s’appesantir, et ne faire plus aucun usage de leur esprit livré aux vapeurs hypocondriaques. Je suis persuadé que le remède qui convient à cette maladie est celui qu’on donne aux yahous, et qu’une vie labo-