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que nous sommes obligés de les faire tous repaître à part, et même de lier ceux qui sont rassasiés, de peur qu’ils n’aillent se jeter sur ceux qui ne le sont pas encore. Si une vache dans le voisinage meurt de vieillesse ou par accident, nos yahous n’ont pas plutôt appris cette agréable nouvelle que les voilà tous en campagne, troupeau contre troupeau, basse-cour contre basse-cour ; c’est à qui s’emparera de la vache. On se bat, on s’égratigne, on se déchire, jusqu’à ce que la victoire penche d’un côté ; et si on ne se massacre point, c’est qu’on n’a pas la raison des yahous d’Europe pour inventer des machines meurtrières et des armes massacrantes.

Nous avons, en quelques endroits de ce pays, de certaines pierres luisantes de différentes couleurs, dont nos yahous sont fort amoureux. Lorsqu’ils en trouvent ils font leur possible pour les tirer de la terre, où elles sont ordinairement un peu enfoncées ; ils les portent dans leurs loges, et en font un amas qu’ils cachent soigneusement, et sur lequel ils veillent sans cesse comme sur un trésor, prenant bien garde que leurs camarades ne le découvrent. Nous n’avons encore pu connaître d’où leur vient cette inclination violente pour les pierres luisantes, ni à quoi elles peuvent leur être utiles : mais j’imagine à présent que cette avarice de vos yahous