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bonheur. Quoi qu’il en soit, à présent que je suis en Angleterre, je me sais bon gré de n’avoir pas tout dit, et d’avoir caché aux Houyhnhnms les trois quarts de nos extravagances et de nos vices : je palliais même de temps en temps, autant qu’il m’était possible, les défauts de mes compatriotes. Lors même que je les révélais, j’usais de restrictions mentales, et tâchais de dire le faux sans mentir. N’étais-je pas en cela tout-à-fait excusable ? Qui est-ce qui n’est pas un peu partial quand il s’agit de sa chère patrie ?

J’ai rapporté jusqu’ici la substance de mes entretiens avec mon maître durant le temps que j’eus l’honneur d’être à son service ; mais, pour éviter d’être long, j’ai passé sous silence plusieurs autres articles.

Un jour, il m’envoya chercher de grand matin, et, m’ordonnant de m’asseoir à quelque distance de lui (honneur qu’il ne m’avait point encore fait), il me parla ainsi : J’ai repassé dans mon esprit tout ce que vous m’avez dit, soit à votre sujet, soit au sujet de votre pays. Je vois clairement que vous et vos compatriotes avez une étincelle de raison, sans que je puisse deviner comment ce petit lot vous est échu ; mais je vois aussi que l’usage que vous en faites n’est que pour augmenter tous vos défauts naturels,