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vaise opinion de tous les yahous ; mais j’avoue ingénument que le caractère des Houyhnhnms, et les excellentes qualités de ces vertueux quadrupèdes, avaient fait une telle impression sur mon esprit, que je ne pouvais les comparer à nous autres humains sans mépriser tous mes semblables. Ce mépris me les fit regarder comme presque indignes de tout ménagement. D’ailleurs mon maître avait l’esprit très-pénétrant, et remarquait tous les jours dans ma personne des défauts énormes dont je ne m’étais jamais aperçu, et que je regardais tout au plus comme de fort légères imperfections. Ses censures judicieuses m’inspirèrent un esprit critique et misanthrope ; et l’amour qu’il avait pour la vérité me fit détester le mensonge, et fuir le déguisement dans mes récits.

Mais j’avouerai encore ingénument un autre principe de ma sincérité. Lorsque j’eus passé une année parmi les Houyhnhnms, je conçus pour eux tant d’amitié, de respect, d’estime et de vénération, que je résolus alors de ne jamais songer à retourner dans mon pays, mais de finir mes jours dans cette heureuse contrée, où le ciel m’avait conduit pour m’apprendre à cultiver la vertu. Heureux si ma résolution eût été efficace ! Mais la fortune, qui m’a toujours persécuté, n’a pas permis que je pusse jouir de ce