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enfance dans l’oisiveté et dans le luxe ; que, dès que l’âge le leur permettait, ils s’épuisaient avec des femelles débauchées et corrompues, et contractaient des maladies odieuses ; que, lorsqu’ils avaient consumé tout leur bien, et qu’ils se voyaient entièrement ruinés, ils se mariaient, à qui ? à une femelle de basse naissance, laide, mal faite, malsaine, mais riche ; qu’un pareil couple ne manquait point d’engendrer des enfans mal constitués, noués, scrofuleux, difformes, ce qui continuait quelquefois jusqu’à la troisième génération, à moins que la judicieuse femelle n’y remédiât en implorant le secours de quelque charitable ami. J’ajoutai que, parmi nous, un corps sec, maigre, décharné, faible, infirme, était devenu une marque presque infaillible de noblesse ; que même une complexion robuste et un air de santé allaient si mal à un homme de qualité, qu’on en concluait aussitôt qu’il était le fils de quelque domestique de sa maison à qui madame sa mère avait fait part de ses faveurs, surtout s’il avait l’esprit tant soit peu élevé, juste et bien fait, et s’il n’était ni bourru, ni efféminé, ni brutal, ni capricieux, ni débauché, ni ignorant[1].

  1. Je ne crois pas qu’aucun lecteur s’avise de prendre à la lettre cette mordante hyperbole. La noblesse an-