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autres par la culture de la terre sont justement ceux qui meurent de faim.

Mais, me dit-il, qu’avez-vous entendu par ce mot de bonne chère lorsque vous m’avez dit qu’avec de l’argent on faisait bonne chère dans votre pays ? Je me mis alors à lui indiquer les mets les plus exquis dont la table des riches est ordinairement couverte, et les manières différentes dont on apprête les viandes. Je lui dis sur cela tout ce qui me vint à l’esprit, et lui appris que, pour bien assaisonner ces viandes, et surtout pour avoir de bonnes liqueurs à boire, nous équipions des vaisseaux et entreprenions de longs et dangereux voyages sur la mer ; en sorte qu’avant que de pouvoir donner une honnête collation à quelques femelles de qualité, il fallait avoir envoyé plusieurs vaisseaux dans les quatre parties du monde.

Votre pays, repartit-il, est donc bien misérable, puisqu’il ne fournit pas de quoi nourrir ses habitans ! Vous n’y trouvez pas même de l’eau, et vous êtes obligés de traverser les mers pour chercher de quoi boire ! Je lui répliquai que l’Angleterre, ma patrie, produisait trois fois plus de nourriture que ses habitans n’en pouvaient consommer ; et qu’à l’égard de la boisson, nous composions une excellente liqueur avec le suc de certains fruits ou avec l’extrait