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ma vache, ils voudront savoir si elle est rouge ou noire, si elle a de longues cornes, dans quel champ elle a coutume de paître, combien elle rend de lait par jour, et ainsi du reste ; après quoi ils se mettent à consulter les anciens arrêts. La cause est mise de temps en temps sur le bureau : heureux si elle est jugée au bout de dix ans !

Il faut observer encore que les gens de loi ont une langue à part, un jargon qui leur est propre, une façon de s’exprimer que les autres n’entendent point : c’est dans cette belle langue inconnue que les lois sont écrites ; lois multipliées à l’infini et accompagnées d’exceptions innombrables. Vous voyez que dans ce labyrinthe le bon droit s’égare aisément, que le meilleur procès est très-difficile à gagner, et que, si un étranger né à trois cents lieues de mon pays s’avisait de venir me disputer un héritage qui est dans ma famille depuis trois cents ans, il faudrait peut-être trente ans pour terminer ce différend et vider entièrement cette difficile affaire.

C’est dommage, interrompit mon maître, que des gens qui ont tant de génie et de talens ne tournent pas leur esprit d’un autre côté et n’en fassent pas un meilleur usage. Ne vaudrait-il pas mieux, ajouta-t-il, qu’ils s’occupassent