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n’être pas à moi, mais à mon voisin. Alors les juges, peu accoutumés aux choses claires et simples, feront plus d’attention aux subtils argumens de mon avocat, trouveront du goût à l’écouter, et à balancer le pour et le contre, et, en ce cas, seront bien plus disposés à juger en ma faveur que si on se contentait de leur prouver mon droit en quatre mots.

C’est une maxime parmi les juges que tout ce qui a été jugé ci-devant a été bien jugé. Aussi ont-ils grand soin de conserver dans un greffe tous les arrêts antérieurs, même ceux que l’ignorance a dictés, et qui sont le plus manifestement opposés à l’équité et à la droite raison. Ces arrêts antérieurs forment ce qu’on appelle la jurisprudence : on les produit comme des autorités, et il n’y a rien qu’on ne prouve et qu’on ne justifie en les citant. On commence néanmoins depuis peu à revenir de l’abus où l’on était de donner tant de force à l’autorité des choses jugées : on cite des jugemens pour et contre ; on s’attache à faire voir que les espèces ne peuvent jamais être entièrement semblables ; et j’ai ouï dire à un juge très-habile que les arrêts sont pour ceux qui les obtiennent.

Au reste, l’attention des juges se tourne toujours plutôt vers les circonstances que vers le fond d’une affaire. Par exemple, dans le cas de