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voure de mes chers compatriotes, je dis que je les avais une fois vus dans un siége faire heureusement sauter en l’air une centaine d’ennemis, et que j’en avais vu sauter encore davantage dans un combat sur mer, en sorte que les membres épars de tous ces yahous semblaient tomber des nues, ce qui avait formé un spectacle fort agréable à nos yeux.

J’allais continuer et faire encore quelque belle description, lorsque son honneur m’ordonna de me taire. Le naturel de l’yahou, me dit-il, est si mauvais, que je n’ai point de peine à croire que tout ce que vous venez de raconter ne soit possible, dès que vous lui supposez une force et une adresse égales à sa méchanceté et à sa malice. Cependant, quelque mauvaise idée que j’eusse de cet animal, elle n’approchait point de celle que vous venez de m’en donner. Votre discours me trouble l’esprit, et me met dans une situation où je n’ai jamais été ; je crains que mes sens effrayés des horribles images que vous leur avez tracées ne viennent peu à peu à s’y accoutumer. Je hais les yahous de ce pays ; mais, après tout, je leur pardonne toutes leurs qualités odieuses, puisque la nature les a faits tels, et qu’ils n’ont point la raison pour se gouverner et se corriger ; mais qu’une créature qui se flatte d’avoir cette raison en partage soit ca-