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de quitter leur pays, soit à cause du mauvais état de leurs affaires, soit pour les crimes qu’ils avaient commis ; que quelques-uns avaient été ruinés par les procès, d’autres par la débauche, d’autres par le jeu ; que la plupart étaient des traîtres, des assassins, des voleurs, des empoisonneurs, des brigands, des parjures, des faussaires, des faux-monnayeurs, des soldats déserteurs, et presque tous des échappés de prison ; qu’enfin nul d’eux n’osait retourner dans son pays de peur d’y être pendu ou d’y pourrir dans un cachot.

Pendant ce discours, mon maître fut obligé de m’interrompre plusieurs fois. J’usai de beaucoup de circonlocutions pour lui donner l’idée de tous ces crimes qui avaient obligé la plupart de ceux de ma suite à quitter leur pays. Il ne pouvait concevoir à quelle intention ces gens-là avaient commis ces forfaits, et ce qui les y avait pu porter. Pour lui éclaircir un peu cet article, je tâchai de lui donner une idée du désir insatiable que nous avions tous de nous agrandir et de nous enrichir, et des funestes effets du luxe, de l’intempérance, de la malice et de l’envie ; mais je ne pus lui faire entendre tout cela que par des exemples et des hypothèses, car il ne pouvait comprendre que tous ces vices existassent réellement : aussi me parut-il comme une