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puisque je ne m’en servais point pour marcher ; qu’ils étaient faibles et délicats, que je les tenais ordinairement nus, et que la chose dont je les couvrais de temps en temps n’était ni si forte ni si dure que la chose dont je couvrais mes pieds de derrière ; que je ne marchais point sûrement, vu que, si un de mes pieds de derrière venait à chopper ou à glisser, il fallait nécessairement que je tombasse. Il se mit alors à critiquer toute la configuration de mon corps, la platitude de mon visage, la proéminence de mon nez, la situation de mes yeux, attachés immédiatement au front, en sorte que je ne pouvais regarder ni à ma droite ni à ma gauche sans tourner ma tête. Il dit que je ne pouvais manger sans le secours de mes pieds de devant, que je portais à ma bouche, et que c’était apparemment pour cela que la nature y avait mis tant de jointures, afin de suppléer à ce défaut ; qu’il ne voyait pas de quel usage me pouvaient être tous ces petits membres séparés qui étaient au bout de mes pieds de derrière : qu’ils étaient assurément trop faibles et trop tendres pour n’être pas coupés et brisés par les pierres et par les broussailles ; et que j’avais besoin pour y remédier de les couvrir de la peau de quelque autre bête ; que mon corps nu et sans poil était exposé au froid, et que pour l’en garantir j’étais