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de la nature ; on fait un usage abusif de la parole, on parle et on ne parle point. Parler, n’est-ce pas faire entendre ce que l’on pense ? or, quand vous faites ce que vous appelez mentir, vous me faites entendre ce que vous ne pensez point ; au lieu de me dire ce qui est, vous me dites ce qui n’est point : vous ne parlez donc pas ; vous ne faites qu’ouvrir la bouche pour rendre de vains sons ; vous ne me tirez point de mon ignorance, vous l’augmentez. Telle est l’idée que les Houyhnhnms ont de la faculté de mentir, que nous autres humains possédons dans un degré si parfait et si éminent.

Pour revenir à l’entretien particulier dont il s’agit, lorsque j’eus assuré son honneur que les yahous étaient dans mon pays les animaux maîtres et dominans (ce qui l’étonna beaucoup), il me demanda si nous avions des Houyhnhnms, et quel était parmi nous leur état et leur emploi. Je lui répondis que nous en avions un très-grand nombre ; que pendant l’été ils paissaient dans les prairies, et que pendant l’hiver ils restaient dans leurs maisons, où ils avaient des yahous pour les servir, pour peigner leurs crins, pour nettoyer et frotter leur peau, pour laver leurs pieds, pour leur donner à manger. Je vous entends, reprit-il, c’est-à-dire que,