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en ayant goûté, je la lui rendis sur-le-champ avec le plus de politesse qu’il me fut possible. Aussitôt il alla chercher dans la loge des yahous un morceau de chair d’âne, et me l’offrit. Ce mets me parut si détestable et si dégoûtant, que je n’y voulus point toucher, et témoignai même qu’il me faisait mal au cœur. Le bidet jeta le morceau au yahou, qui sur-le-champ le dévora avec un grand plaisir. Voyant que la nourriture des yahous ne me convenait point, il s’avisa de me présenter de la sienne, c’est-à-dire du foin et de l’avoine ; mais je secouai la tête et lui fis entendre que ce n’était pas là un mets pour moi. Alors, portant un de ses pieds de devant à sa bouche d’une façon très-surprenante et pourtant très-naturelle, il me fit des signes pour me faire comprendre qu’il ne savait comment me nourrir, et pour me demander ce que je voulais donc manger ; mais je ne pus lui faire entendre ma pensée par mes signes ; et, quand je l’aurais pu, je ne voyais pas qu’il eût été en état de me satisfaire.

Sur ces entrefaites, une vache passa : je la montrai du doigt, et fis entendre, par un signe expressif, que j’avais envie de l’aller traire. On me comprit, et aussitôt on me fit entrer dans la maison, où l’on ordonna à une servante, c’est-à-dire à une jument, de m’ouvrir une salle, où