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ma surprise et mon horreur, lorsque, ayant considéré de près cet animal, je remarquai en lui tous les traits et toute la figure d’un homme, excepté qu’il avait le visage large et plat, le nez écrasé, les lèvres épaisses, et la bouche très-grande ; mais cela est ordinaire à toutes les nations sauvages, parce que les mères couchent leurs enfans le visage tourné contre terre, les portent sur le dos, et leur battent le nez avec leurs épaules. Ce yahou avait les pattes de devant semblables à mes mains, si ce n’est qu’elles étaient armées d’ongles fort grands, et que la peau en était brune, rude et couverte de poil. Ses jambes ressemblaient aussi aux miennes, avec les mêmes différences. Cependant mes bas et mes souliers avaient fait croire à messieurs les chevaux que la différence était beaucoup plus grande. À l’égard du reste du corps, c’était en vérité la même chose, excepté par rapport à la couleur et au poil.

Quoi qu’il en soit, ces messieurs n’en jugeaient pas de même, parce que mon corps était vêtu, et qu’ils croyaient que mes habits étaient ma peau même et une partie de ma substance ; en sorte qu’ils trouvaient que j’étais par cet endroit fort différent de leurs yahous. Le petit laquais bidet, tenant une racine entre son sabot et son paturon, me la présenta. Je la pris, et,