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très-juste à cause de la sordide avarice ordinaire aux vieillards). Les pauvres sont entretenus aux dépens du public dans une maison appelée l’hôpital des pauvres immortels. Un immortel de quatre-vingts ans ne peut plus exercer de charge ni d’emploi, ne peut négocier, ne peut contracter, ne peut acheter ni vendre, et son témoignage même n’est point reçu en justice.

Mais lorsqu’ils sont parvenus à quatre-vingt-dix ans, c’est encore bien pis ; toutes leurs dents et tous leurs cheveux tombent ; ils perdent le goût des alimens, et ils boivent et mangent sans aucun plaisir ; ils perdent la mémoire des choses les plus aisées à retenir, et oublient le nom de leurs amis, et quelquefois leur propre nom. Il leur est pour cette raison inutile de s’amuser à lire, puisque, lorsqu’ils veulent lire une phrase de quatre mots, ils oublient les deux premiers tandis qu’ils lisent les deux derniers. Par la même raison il leur est impossible de s’entretenir avec personne. D’ailleurs, comme la langue de ce pays est sujette à de fréquens changements, les struldbruggs nés dans un siècle ont beaucoup de peine à entendre le langage des hommes nés dans un autre siècle, et ils sont toujours comme étrangers dans leur patrie.

Tel fut le détail qu’on me fit au sujet des immortels de ce pays, détail qui me surprit ex-