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plaignaient amèrement de la nature, qui leur avait refusé la douceur de mourir, de finir leur course ennuyeuse, et d’entrer dans un repos éternel ; qu’ils n’étaient plus alors en état de cultiver leur esprit et d’orner leur mémoire ; qu’ils se ressouvenaient tout au plus de ce qu’ils avaient vu et appris dans leur jeunesse et dans leur moyen âge ; que les moins misérables et les moins à plaindre étaient ceux qui radotaient, qui avaient tout-à-fait perdu la mémoire, et étaient réduits à l’état de l’enfance ; qu’au moins on prenait alors pitié de leur triste situation, et qu’on leur donnait tous les secours dont ils avaient besoin dans leur imbécillité.

Lorsqu’un struldbrugg, ajouta-t-il, s’est marié à une struldbrugge, le mariage, selon les lois de l’État, est dissous dès que le plus jeune des deux est parvenu à l’âge de quatre-vingts ans. Il est juste que de malheureux humains, condamnés malgré eux, et sans l’avoir mérité, à vivre éternellement, ne soient pas encore, pour surcroît de disgrâce, obligés de vivre avec une femme éternelle. Ce qu’il y a de plus triste est qu’après avoir atteint cet âge fatal ils sont regardés comme morts civilement. Leurs héritiers s’emparent de leurs biens ; ils sont mis en tutelle, ou plutôt ils sont dépouillés de tout et réduits à une simple pension alimentaire, (loi