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de connaissances, un dictionnaire parlant, l’oracle perpétuel de mes compatriotes et de tous mes contemporains.

Dans cet état je ne me marierais point, ajoutai-je, et je mènerais une vie de garçon gaîment, librement, mais avec économie, afin qu’en vivant toujours j’eusse toujours de quoi vivre. Je m’occuperais à former l’esprit de quelques jeunes gens, en leur faisant part de mes lumières et de ma longue expérience. Mes vrais amis, mes compagnons, mes confidens, seraient mes illustres confrères les struldbruggs, dont je choisirais une douzaine parmi les plus anciens, pour me lier plus étroitement avec eux. Je ne laisserais pas de fréquenter aussi quelques mortels de mérite, que je m’accoutumerais à voir mourir sans chagrin et sans regret, leur postérité me consolant de leur mort : ce pourrait même être pour moi un spectacle assez agréable, de même qu’un fleuriste prend plaisir à voir les tulipes et les œillets de son jardin naître, mourir et renaître.

Nous nous communiquerions mutuellement, entre nous autres struldbruggs, toutes les remarques et observations que nous aurions faites sur la cause et le progrès de la corruption du genre humain. Nous en composerions un beau traité de morale, plein de leçons utiles, et ca-