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ner avis au roi de mon arrivée prochaine, et pour demander à sa majesté le jour et l’heure que je pourrais avoir l’honneur et le plaisir de lécher la poussière du pied de son trône.

Deux jours après mon arrivée, j’eus audience ; et d’abord on me fit coucher et ramper sur le ventre, et balayer le plancher avec ma langue à mesure que j’avançais vers le trône du roi ; mais, parce que j’étais étranger, on avait eu l’honnêteté de nettoyer le plancher de manière que la poussière ne me pût faire de peine. C’était une grâce particulière qui ne s’accordait pas même aux personnes du premier rang lorsqu’elles avaient l’honneur d’être reçues à l’audience de sa majesté : quelquefois même on laissait exprès le plancher très-sale et très-couvert de poussière lorsque ceux qui venaient à l’audience avaient des ennemis à la cour. J’ai une fois vu un seigneur avoir la bouche si pleine de poussière et si souillée de l’ordure qu’il avait recueillie avec sa langue, que, quand il fut parvenu au trône, il lui fut impossible d’articuler un seul mot. À ce malheur il n’y a point de remède ; car il est défendu, sous des peines très-grièves, de cracher ou de s’essuyer la bouche en présence du roi. Il y a même en cette cour un autre usage que je ne puis du tout approuver. Lorsque le roi veut faire mourir quel-