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génies en grands politiques, des flatteurs et des courtisans en gens de bien, des athées en hommes pleins de religion, d’infâmes débauchés en gens chastes, et des délateurs de profession en hommes vrais et sincères. Je sus de quelle manière des personnes très-innocentes avaient été condamnées à la mort ou au bannissement par l’intrigue des favoris qui avaient corrompu les juges : comment il était arrivé que des hommes de basse extraction et sans mérite avaient été élevés aux plus grandes places, comment les P. et les M. avaient souvent donné le branle aux plus importantes affaires, et avaient occasionné dans l’univers les plus grands événemens. Oh ! que je conçus alors une basse idée de l’humanité ! Que la sagesse et la probité des hommes me parut peu de chose, en voyant la source de toutes les révolutions, le motif honteux des entreprises les plus éclatantes, les ressorts, ou plutôt les accidents imprévus, et les bagatelles qui les avaient fait réussir !

Je découvris l’ignorance et la témérité de nos historiens, qui ont fait mourir du poison certains rois, qui ont osé faire part au public des entretiens secrets d’un prince avec son premier ministre, et qui ont, si on les en croit, crocheté, pour ainsi dire, les cabinets des souverains et