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revînmes rendre nos devoirs au gouverneur. Pendant les dix jours que nous restâmes dans cette île, je vins à me familiariser tellement avec les esprits, que je n’en eus plus de peur du tout, ou du moins, s’il m’en restait encore un peu, elle cédait à ma curiosité. J’eus bientôt une occasion de la satisfaire, et le lecteur pourra juger par là que je suis encore plus curieux que poltron. Son altesse me dit un jour de nommer tels morts qu’il me plairait, qu’il me les ferait venir, et les obligerait de répondre à toutes les questions que je leur voudrais faire, à condition toutefois que je ne les interrogerais que sur ce qui s’était passé de leur temps, et que je pourrais être bien assuré qu’ils me diraient toujours vrai, étant inutile aux morts de mentir.

Je rendis de très-humbles actions de grâces à Son Altesse, et, pour profiter de ses offres, je me mis à me rappeler la mémoire de ce que j’avais autrefois lu dans l’histoire romaine. D’abord il me vint dans l’esprit de demander à voir cette fameuse Lucrèce que Tarquin avait violée, et qui, ne pouvant survivre de cet affront, s’était tuée elle-même. Aussitôt je vis devant moi une dame très-belle, habillée à la romaine. Je pris la liberté de lui demander pourquoi elle avait vengé sur elle-même le crime d’un autre : elle baissa les yeux, et me répondis que les histo-