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une quantité de joncs marins et d’herbes sèches, afin de les allumer le lendemain pour cuire mes œufs, car j’avais sur moi mon fusil, ma mèche, avec un verre ardent. Je passai toute la nuit dans la cave où j’avais mis mes provisions : mon lit était ces mêmes herbes sèches destinées au feu. Je dormis peu, car j’étais encore plus inquiet que las. Je considérais qu’il était impossible de ne pas mourir dans un lieu si misérable, et qu’il me faudrait bientôt faire une triste fin. Je me trouvai si abattu de ces réflexions, que je n’eus pas le courage de me lever ; et, avant que j’eusse assez de force pour sortir de ma cave, le jour était déjà fort grand : le temps était beau, et le soleil si ardent que j’étais obligé de détourner mon visage.

Mais voici tout-à-coup que le temps s’obscurcit, d’une manière pourtant très-différente de ce qui arrive par l’interposition d’un nuage. Je me tournai vers le soleil, et je vis un grand corps opaque et mobile entre lui et moi, qui semblait aller çà et là. Ce corps suspendu, qui me paraissait à deux milles de hauteur, me cacha le soleil environ six ou sept minutes ; mais je ne pus pas bien l’observer à cause de l’obscurité. Quand ce corps fut venu plus près de l’endroit où j’étais, il me parut être d’une substance solide, dont la base était plate, unie et luisante