Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/175

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le plus favorable que je pouvais ; car, quand il s’agit de défendre ma patrie, et de soutenir sa gloire, je me pique de ne point entendre raison ; alors je n’omets rien pour cacher ses infirmités et ses difformités, et pour mettre sa vertu et sa beauté dans le jour le plus avantageux. C’est ce que je m’efforçai de faire dans les différens entretiens que j’eus avec ce judicieux monarque : par malheur, je perdis ma peine.

Mais il faut excuser un roi qui vit entièrement séparé du reste du monde, et qui, par conséquent, ignore les mœurs et les coutumes des autres nations. Ce défaut de connaissance sera toujours la cause de plusieurs préjugés, et d’une certaine manière bornée de penser, dont le pays de l’Europe est exempt. Il serait ridicule que les idées de vertu et de vice d’un prince étranger et isolé fussent proposées pour des règles et pour des maximes à suivre.

Pour confirmer ce que je viens de dire, et pour faire voir les effets malheureux d’une éducation bornée, je rapporterai ici une chose qu’on aura peut-être de la peine à croire. Dans la vue de gagner les bonnes grâces de sa majesté, je lui donnai avis d’une découverte faite depuis trois ou quatre cents ans, qui était une certaine petite poudre noire qu’une seule petite étincelle pouvait allumer en un instant, de telle