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tête dans sa bouche, où je commençai à hurler si horriblement que l’enfant, effrayé, me laissa tomber. Je me serais infailliblement cassé la tête, si la mère n’avait pas tenu son tablier sous moi. La nourrice, pour apaiser son poupon, se servit d’un hochet qui était un gros pilier creux, rempli de grosses pierres, et attaché par un câble au milieu du corps de l’enfant ; mais cela ne put l’apaiser, et elle se trouva réduite à se servir du dernier remède, qui fut de lui donner à téter. Il faut avouer que jamais objet ne me dégoûta comme la vue des tétons de cette nourrice, et je ne sais à quoi je puis les comparer.

Cela me fait penser aux tétons de nos dames anglaises, qui sont si charmans, et qui ne nous paraissent tels que parce qu’ils sont proportionnés à notre vue et à notre taille ; cependant le microscope, qui les grossit et nous en fait paraître plusieurs parties qui échappent à nos yeux, les enlaidit extrêmement : tels me parurent les tétons énormes de cette nourrice. C’est ainsi qu’étant à Lilliput une femme me disait que je lui paraissais très-laid, qu’elle découvrait de grands trous dans ma peau, que les poils de ma barbe étaient dix fois plus forts que les soies d’un sanglier, et que mon teint, composé de différentes couleurs était tout-à-fait désagréable,