Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette espèce de forêt. Je m’avançai cependant vers un endroit du champ où la pluie et le vent avaient couché le blé : il me fut alors tout-à-fait impossible d’aller plus loin ; car les tuyaux étaient si entrelacés qu’il n’y avait pas moyen de ramper à travers, et les barbes des épis tombés étaient si fortes et si pointues qu’elles me perçaient au travers de mon habit, et m’entraient dans la chair. Cependant, j’entendais les moissonneurs qui n’étaient qu’à cinquante toises de moi. Étant tout-à-fait épuisé et réduit au désespoir, je me couchai entre deux sillons, et je souhaitais d’y finir mes jours, me représentant ma veuve désolée, avec mes enfants orphelins, et déplorant ma folie, qui m’avait fait entreprendre ce second voyage contre l’avis de tous mes amis et de tous mes parents.

Dans cette terrible agitation, je ne pouvais m’empêcher de songer au pays de Lilliput, dont les habitans m’avaient regardé comme le plus grand prodige qui ait jamais paru dans le monde, où j’étais capable d’entraîner une flotte entière d’une seule main, et de faire d’autres actions merveilleuses dont la mémoire sera éternellement conservée dans les chroniques de cet empire, pendant que la postérité les croira avec peine, quoique attestées par une nation entière. Je fis réflexion quelle mortification ce serait pour