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signes protecteurs au reste de la troupe qui les saluait au passage. Junior maugréait qu’il allait mal dormir, mal manger et geignait sur « tout ce qu’il fallait faire dans cette chienne de vie pour gagner son bifteck ! » Irma Frodytte parlait abondamment à un journaliste de son enfance et de sa vocation théâtrale qui l’avait toujours impérieusement poussée vers la scène, tandis que dans un autre coin Célie Maine racontait à un autre journaliste les raisons pour lesquelles elle abordait l’opérette, raisons très importantes et qui devaient sûrement passionner tout un chacun. Ailleurs, un troisième journaliste appartenant à une feuille d’avant-garde interrogeait le prince Yvan Boccoudoff sur les destinées de l’Art français. Seuls Junior et Cémoa Quévla n’avaient pas de journalistes, mais ils s’en consolaient en pensant que leur tour allait venir.

Dans tout ce brouhaha, la petite Michette poursuivait son installation. Elle n’avait pas de couchette, mais elle voyageait en premières, ainsi en avait décrété sa patronne qui désirait avoir sa secrétaire à sa disposition chaque fois qu’elle le désirerait. Elle avait donc gagné la place que le numéro de son billet lui avait dévolue, installant son plaid, son sac de voyage, ses journaux, jetant un coup d’œil sur les compagnons de voyage qui allaient être les siens, deux personnes seulement : une dame âgée qui pinçait les lèvres en affectant de détourner les yeux devant « ces gens de théâtre » et un gros homme, le type parfait de l’industriel « entreteneur de poules », dont la face se congestionnait d’intérêt à la vue de la troupe en général, et à l’aspect de Michette en particulier. Il devait sûrement se torturer l’esprit pour chercher le moyen d’entrer en conversation avec la belle enfant. Enfin, au dernier moment, quelques secondes avant le départ du rapide, un jeune homme fit irruption dans le compartiment de Michette, un ravissant jeune homme grand, svelte, blond, évidemment Anglais si l’on s’en référait à son teint blanc et rose et à son pudique maintien. Il s’installa dans son coin, fit sa petite toilette de voyage comme s’il était chez lui, puis regarda la sombre voûte de la gare d’un air splénétique. Mais