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de pianos, tant son visage osseux et brun est insignifiant. Le seul reflet de Bretagne rêveuse qu’ait gardé cette figure au type inexistant, c’est l’eau verdâtre des yeux, qui semblent un petit coin de mer tranquille, où l’on pourrait s’embarquer pour de lointains voyages…

Barral me présente froidement comme une « savante norvégienne épatante, qui a eu la médaille d’or de l’Institut de son pays, de Berlin, Nijni-Novgorod, Buenos-Ayres… enfin un tas de choses très bien… », ce qui ne paraît nullement étonner Cardoc, malgré mon aspect assez junévile, et, sans transitions, s’écrie :

« Qu’est-ce que tu fabriquais donc là ?

— Ben, tu vois… », répond une voix lente et légèrement grasseyante, « c’est des lunettes pour mon cabot. J’en ai un là, un pauvre bougre de griffon, qui a mal aux yeux ; on l’a opéré il y a trois jours. Alors, je m’amuse à lui faire des lunettes avec de la mousseline raide bleu sombre et du fil de fer… regardez ça, si c’est rigolo ! »

Il nous montre un petit chef-d’œuvre d’ingéniosité, sur lequel nous nous extasions de bonne foi, tandis que son regard humble nous supplie, avec un petit rire gêné, de ne pas nous moquer de lui. Je meurs d’envie de lui demander à voir sa peinture ; mais il