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À SUSE.

et envoyé en échange de cette somme un demi-sac de sel, quelques kilogrammes de riz, des oranges amères et un chef loqueteux, habile à préparer la cuisine persane, indienne et même française, dont un Arménien de Bagdad lui aurait révélé les secrets. Puis le mirza demanda deux cents krans pour acheter des allumettes. Hum !… Si la vie est à ce prix, la bourse de la mission sera bientôt plate. De toute façon nous avons hâte de liquider les affaires pendantes et de gagner Suse.

25 février. — Le Jugement de Salomon dont Marcel était chargé de faire hommage au gouverneur de la province vient de revoir le jour. Tant bien que mal, nous avons tendu la toile sur son châssis et réuni les quatre côtés d’une bordure magnifique. Le naïeb el houkoumet (sous-gouverneur) ne fut pas oublié : on lui offrit l’exhibition gratuite de la peinture et du cadre doré destinés à son excellent chef. Il se déclara satisfait — on le serait à moins ; — mais en sortant il nous avoua que nous acquerrions des droits éternels à sa reconnaissance si, à ce régal intellectuel, nous ajoutions un cadeau plus tangible.

L’objet de son ambition ? Un pliant acheté deux francs cinquante dans un bazar de Marseille. Sous peine de condamner l’un de nous à s’asseoir sur les genoux de la terre, notre mère commune, nous ne pouvions satisfaire un pareil désir. Il a donc été décidé que le nadjar bachy (menuisier en chef) du gouvernement viendrait copier le meuble qui prend, aux yeux du naïeb, les proportions d’un trône d’or.

Un mauvais pliant de corde l’emporte sur le spectacle de la sagesse de Salomon peint à l’huile épurée et entouré d’un cadre… ébouriffant.

Après avoir comblé de bons procédés et de paroles encore meilleures le naïeb et son entourage, Marcel rendit visite au cheikh Mohammed Taher et lui remit un canon méridien.

Cette minuscule pièce d’artillerie a déjà une légende. Parmi les bagages se trouvent quatre roues de prolonges. Depuis notre entrée en Perse, on nous interrogeait sur leur usage. « Elles font partie d’une charrette, » répondions-nous sans convaincre personne. Et les questions mystérieuses succédaient aux sous-entendus. D’autre part, on s’informait du contenu de nos caisses, et nous parlions sans mystère du canon destiné à Cheikh Mohammed Taher.

Les indigènes, n’ayant jamais vu d’autres roues que celles des deux canons du gouverneur, ont lié nos paroles et bâti des contes bleus. Tous sont persuadés que nous portons les armes destinées à la conquête de la Susiane. Marcel vient de découvrir la clef de cette énigme ; il rit beaucoup du quiproquo, mais sa gaieté n’eut pas meilleur succès que ses protestations et fut interprétée comme un trait de génie ou un miracle de dissimulation.

Mohammed Taher jouit d’une très grande influence sur la population fanatique de Dizfoul. Une lettre de seïd Hadji Houssein lui est parvenue, ainsi qu’en témoigne