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BAHREIN.

de l’avant à l’arrière et débarrasse de ma personne la dure banquette où je cherche le sommeil. Le mouvement régulier et ininterrompu de l’hélice, ses trépidations si énervantes, mais dont l’arrêt porte l’inquiétude et l’angoisse dans les cœurs les plus optimistes, cessent brusquement. Je cours sur le pont ; on ne saurait s’y tenir debout, tant l’Assyria, échouée sur un banc de sable, donne de la bande à tribord.

Il est six heures du matin ; les étoiles pâlissent ; l’horizon, encore alourdi, s’illumine timidement : c’est l’aurore aux doigts gris perle, puis rosés. Le globe d’or tient mal les promesses de sa belle avant-courrière : à peine a-t-il embrasé l’atmosphère, qu’il se cache derrière les épais nuages accumulés par l’orage de la nuit. Avant de disparaître, le soleil éclaire une côte fort basse et des bouquets de palmiers isolés du sol par un nuage dense où leurs stipes restent plongés. La réalité joue le mirage.

Le vent souffle de terre ; quelques manœuvres combinées des voiles et de l’hélice suffisent à dégager la proue. Vapeur arrière. L’Assyria reprend sa position normale. Encore un effort, et nous voici en pleine mer, puis en vue de Linga.

Les bas-fonds, si fréquents dans cette étrange mer dont la profondeur n’excède jamais cent mètres, et que l’on devrait nommer le marais persique, obligent à mouiller fort loin d’une ville bâtie le long de la côte. Ses maisons hautes, percées de nombreuses ouvertures, les terrasses grises, les bois de palmiers plantés derrière les habitations, les quilles de grosses felouques tirées sur le sable, apparaissent à travers un chantier de construction navale en pleine activité.

Il faut renoncer à débarquer : la mer est trop grosse. Le commandant se contente d’expédier le courrier. Dès que la chaloupe du bord et son équipage trempé jusqu’aux os sont de retour, il commande de lever l’ancre.

30 janvier. — Depuis Kurachee l’Assyria a toujours couru le long des côtes du Béloutchistan et de la Perse. En quittant le mouillage de Linga, le navire met le cap sur les îles Bahreïn, situées dans les eaux arabiques.

Ces îles, très fertiles et fort commerçantes, donnent leur nom à la baie qui les entoure, comme elles prirent autrefois celui de la côte voisine. Elles doivent leur richesse agricole à des conduits artésiens qui passent au-dessous de la mer, et leur importance commerciale à des bancs d’huîtres perlières déjà célèbres au temps d’Alexandre.

L’histoire de Bahreïn se résume en celle de ses pêcheries. C’est pourtant de Bahreïn que sortirent les bandes de pillards qui désolèrent la Mésopotamie et ravagèrent Ctésiphon sous les premiers rois sassanides ; de ce port cingla vers la Perse une flotte célèbre : elle portait la première armée arabe qui tenta d’envahir l’Iran.

L’expédition fut battue par le satrape Chehrek, demeuré fidèle à Yezdigird, tandis qu’une tempête coulait ses navires.