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LES NOMADES.

« Pourquoi n’as-tu pas crié ?

— Il agit en homme avisé, interrompit Baker : qui tombe entre les mains des bandits, doit se laisser dépouiller, prendre la fuite et se garder surtout d’appeler au secours, sous peine de compromettre le salut général. »

6 avril. — La nuit s’est passée tranquille ; mais les incidents de la journée précédente avaient été si inquiétants, que nous résolûmes de doubler nos sentinelles. De temps à autre, nous déchargions quelques coups de feu.

Partie dès l’aube, la caravane longea le soulèvement rouge qui de Suse, par un singulier effet de mirage, se transforme tous les matins en un château féodal.

« Examinez bien cette montagne, me dit Baker : c’est une montagne de talismans. Au lever du soleil, les voyageurs qui passent ici aperçoivent sur ces hauteurs des jardins délicieux ; ils courent se désaltérer aux pures fontaines de l’oasis, saisir les grappes de raisins pendantes aux treilles vertes, s’abriter sous des orangers aux fruits d’or. La bouche sèche, l’œil plein de convoitise, la sueur au front, ils atteignent essoufflés ces jardins merveilleux. Soudain verdure, fruits, palais, disparaissent, et ils se voient seuls, sur un roc désolé où une perdrix ne trouverait pas un brin d’herbe pour abriter sa tête. »

Deux Arabes armés jusqu’aux dents croisent le convoi. Si nous ne faisions bonne garde, les muletiers prendraient la fuite. Les nomades s’éloignaient ; Baker, assis sur sa monture, s’approcha de moi :

« Les voyez-vous, ces brigands ? Ils vivent de chardons comme mon âne ; ils paissent l’herbe sèche des chemins. Et ces vieilles nattes qui gisent là-bas sur ce campement abandonné ? Ce sont leurs maisons. Comment lutter avec des gens qui n’ont pas de demeure stable, ne cultivent pas la terre et mangent de l’herbe ? Il n’est pas surprenant qu’ils soient nos maîtres. »

Les deux voyageurs appartenaient à une peuplade sauvage commandée par le cheikh Melahyé. Nous voici au cœur du campement. Les nomades à peu près nus nous suivent, gambadent, menacent, la lance à la main.

« Baker, que contiennent ces caisses ?

— Des briques. Il y en a de cuites, il y en a de crues. Je porte aussi des pierres, mais elles ne valent rien : toutes sont brisées.

— Baker, arrête-toi. Vois les beaux pâturages. Pourquoi voles-tu les talismans de Daniel ? Arrête-toi. Nous saurons bien empêcher les Faranguis de continuer leur route. Fais-les descendre de cheval ; quand ils seront à terre, ils ne nous jetteront plus de charmes. Ce sont des sorciers. Allah ! Allah ! il faut les faire cuire et garder les talismans ! »

Baker presse les mulets, presse les hommes. Le malheur veut qu’une bête tombe. Les muletiers se précipitent à son secours. Les Arabes fondent sur eux