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À SUSE.

tir termina la fête. Nous y figurâmes, armés de nos carabines, vis-à-vis du Khan, muni d’une canardière longue de deux mètres. C’est un magasin à poudre que ce bijou de poche ! Bien qu’appuyé sur un chevalet, il repousse de telle manière qu’il jette invariablement le tireur à la renverse.

En récapitulant le soir les incidents de la journée, nous avons dû convenir que le Khan, fort aimable, avait fait un accueil des plus flatteurs aux radis et aux salades du potager, mais que nos affaires n’étaient guère avancées.

Une dernière invitation nous avait été adressée ; le gouverneur allait partir ; Marcel prit le taureau par les cornes.

« La mission, vous le savez, Excellence, doit abandonner Suse le 1er avril. Comment ferai-je honneur aux promesses du gouvernement français si je ne trouve ni chameaux ni mulets à louer ?

— Vous ne devez rien emporter avant d’avoir équitablement partagé le produit des fouilles avec Sa Majesté. Je regrette que vous ayez déjà expédié trois caisses. Si je ne craignais de porter préjudice à un saint homme de seïd, j’aurais fait arrêter votre convoi.

— Croyez-vous que le roi payerait de milliers de tomans le port de pierres cassées et vous remercierait par surcroît ? Et cette terre colorée, brisée, pilée, qu’en fera votre maître ? Il la jettera devant la porte du palais par un jour de grande boue.

— J’ai ordre de partager jusqu’au dernier tesson de poterie, jusqu’à une motte de terre.

— C’est bien. Il y a là environ deux cent cinquante caisses ; prenez-en la moitié, vous me rembourserez le prix des emballages.

— Je ne l’entends pas ainsi. On ouvrira vos colis, et l’on fera deux lots des morceaux bleus, jaunes et verts. Puis nous tirerons au sort.

— Après déjeuner vous et moi effectuerons ce triage ; je récuse vos gens : vous suspecteriez leur fidélité.

— « Tout de suite », « sur-le-champ » ; voilà un singulier vocabulaire. Partager deux cents caisses après déjeuner… Voyons,… nous pourrions peut-être nous entendre. Je suis un peu de votre avis : Sa Majesté serait fort embarrassée de ces décombres. D’autre part, j’ai lieu de croire que Son Altesse Impériale Zellè Sultan souhaite certaine distinction que le gouvernement français tarde bien à lui accorder. Le Chah Zadè, vous ne l’ignorez pas, est un homme civilisé, un photographe distingué, ami des Européens. Promettez-moi que les désirs du prince seront satisfaits, et je renonce, au nom de mon maître, à un partage difficile et ennuyeux.

— Je ne puis prendre un pareil engagement, mais je ferai connaître la noble conduite de Zellè Sultan ; il n’aura pas affaire à des ingrats.