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LA PLUIE.

« Voici ces fils du diable sur le chemin de l’enfer qui les a vomis, m’a dit le fils d’Attar ; je vais avertir mon père. Nous avons été dupes de M’sban, nous lui rendrons la chienne et ses petits.

— Depuis quand les louveteaux de votre taille dévorent-ils des lions ?

— Je m’entends.

— Tu es malin. »

5 décembre. — Notre sort est pitoyable. Avant-hier matin, nous quittâmes le campement de Saf-Saf avec la moitié des bagages — Attar n’avait pu rassembler toutes les bêtes — et nous marchâmes jusqu’à deux heures à travers la lande déserte. Puis nous entrâmes dans le hor desséché, couvert d’une inextricable forêt de ginériums. La caravane traversait la partie la plus basse du marécage ; sa marche était lente, la pluie de la veille avait détrempé la surface glaiseuse du sol. Les mulets glissaient, tombaient, se blessaient ; les hommes, en les rechargeant, laissaient échapper les fardeaux souillés de boue, s’écrasaient les pieds, se déchiraient les jambes ; les nuées accouraient semblables à des torrents de bitume ; derrière elles s’avançaient les ténèbres et l’orage ; les insectes volaient près de terre, poursuivis par les oiseaux qui, rapides, frôlaient le sol de la pointe de l’aile : un déluge semblait imminent.

Au sortir d’un épais fourré, nous débouchâmes sur une clairière qu’occupaient les tentes d’une pauvre tribu. Nous n’étions pas à cheval depuis quatre heures, et cependant les muletiers déclarèrent qu’il serait dangereux de prolonger l’étape. Mieux valait camper auprès des nomades, attendre le chef de la caravane et laisser passer l’ouragan. Le conseil était sage. Depuis deux jours les vents du nord et du midi luttent avec rage et ébranlent l’air de leurs grondements furieux, les nuages se précipitent contre les nuages, de leurs chocs jaillissent d’éblouissantes gerbes de feu qui jettent sur la nature très sombre de fugitives et aveuglantes clartés ; on ne sait dans quelle région du ciel se livre plus acharnée la bataille des éléments. La voûte éternelle semble prête à s’abîmer, puis les éclusiers divins ouvrent toutes grandes les vannes célestes et, sous l’action dissolvante des eaux, la terre elle-même se liquéfie.

Instruits par l’expérience de Saf-Saf, nous avons présidé à l’installation du toit protecteur. Comme on fait son lit, on se couche. Les gros bagages forment le mur de refend ; les petits, disposés en cloisons longitudinales, reçoivent la retombée de la tente et barrent le passage au vent et à la pluie. À part quelques gouttières, nous sommes au sec dans notre palais de poil de chèvre ; mais les eaux tombées sur la plaine se sont précipitées vers le hor, où les conduit la pente naturelle du terrain, et ont si bien détrempé un sol couvert de vase desséchée qu’on ne peut s’aventurer au dehors sans enfoncer jusqu’à la cheville dans une boue empestée.