Page:Susejournaldes00dieu.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
À SUSE.

sur les tumulus, où nous sommes d’ailleurs plus proprement, si ce n’est aussi chaudement logés que dans le voisinage du prophète. »

Après ce court interrogatoire, mirza, seïd et mollahs redescendirent. Sur le soir je vis le turban bleu reprendre, à une allure rapide, la route de Dizfoul.

1er mars. — Les fouilles de Suse devaient commencer aujourd’hui ; Marcel l’avait annoncé, il a tenu parole. Son bataillon n’est pas brillant : un vieil Arabe qui paît, faute de nourriture plus substantielle, les jeunes chardons de la vallée, un borgne en instance auprès du prophète pour obtenir la guérison de son dernier œil fort compromis, le fils d’une veuve mourant de faim sous la protection du même Daniel, deux soldats auxiliaires subalternes de Mirza Abdoul-Raïm, nos domestiques et ses collaborateurs. Armés de pelles et de pioches, nous nous sommes dirigés vers un mur de briques qui apparaît dans un éboulis voisin des tentes. Avant d’attaquer la grande tranchée, il est bon de reconnaître le terrain.

L’honneur d’inaugurer les travaux m’avait été réservé. Fort émue, j’ai saisi une lourde pioche de sapeur et travaillé jusqu’à extinction de forces ; Marcel m’a relayée, tandis que nos acolytes enlevaient la terre. Dès midi le mur était déblayé sur deux mètres de profondeur, mais il nous a faussé compagnie, et nous avons dû l’abandonner en faveur de la base de colonne située à l’angle sud-est du palais. Deux heures avant le coucher du soleil, les ouvriers ont cessé le travail pour faire leur prière. Ils reçurent avec une évidente satisfaction quinze chaïs (soixante centimes) par homme et promirent, In-ch’Allah, de revenir le lendemain.

2 mars. — Aujourd’hui et hier se sont écoulés d’une façon aussi monotone qu’avant-hier. Le chantier compte cinq invalides : pas un de plus, pas un de moins. Nous avions espéré que le bruit de nos largesses se serait envolé dans la plaine aussi rapidement que la renommée des armes françaises ! Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?

3 mars. — Deux de nos infirmes, les mains crevassées par le maniement de la pelle, nous ont offert leur démission.

4 mars. — Une fausse joie à enregistrer. Elle nous est apparue sous la forme d’un cavalier et d’une vingtaine d’Arabes armés de pelles pointues. La folie des Faranguis cherchant des trésors dans ces terres désertes ravit de bonheur les nouveaux venus. Marcel, devenu biblique, les invite à cultiver sa vigne et leur promet paye entière malgré l’heure tardive ; mais ils répondent par de formidables : « La ! la ! » (Non ! non !), font tournoyer leur pelle au-dessus de leur tête et s’éloignent en esquissant autour de leur chef une ronde guerrière. Les Israélites devaient danser ainsi devant le veau d’or. Renseignement pris, ces pseudo-ouvriers sont des bildars (possesseurs de pelle) de Cheikh Ali. Ils vont ouvrir les canaux d’arrosage qui amènent les eaux du Chaour dans les blés de la tribu.