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affouillent devant ces obstacles, finissent par y creuser des cavités plus basses que le reste du lit, ou, comme on les appelle, des gouffres, dans lesquels le courant se jette ensuite tout naturellement.

Ceci une fois établi, plaçons un obstacle quelconque, une digue par exemple, sur un de ces lits indéterminés, où les eaux divaguent avec une extrême inconstance, et se jettent dans toutes sortes de directions. — Avant tout effet produit, il y a autant de probabilité que le courant se portera sur la digue, qu’il y en a qu’il se portera ailleurs. Mais lorsqu’une crue, en répandant les eaux dans tous les sens, les a amenées une fois au pied de la digue, l’affouillement s’opère, et si de suite elles ne s’y établissent pas d’une manière définitive, au moins s’y porteront-elles désormais de préférence à tout autre point. Ainsi, à chaque nouveau contact des eaux, la probabilité d’un contact prochain s’augmente : bientôt on peut affirmer avec certitude que les eaux toucheront constamment la digue, et finalement, qu’elles s’y fixeront sans plus la quitter.

Le fait de la réflexion s’observe surtout dans les torrents dont le canal d’écoulement est très-large et très-prolongé. — Là, il paraît, sinon produit exclusivement, au moins favorisé par une circonstance particulière : c’est que les obstacles résistants, la plupart naturels, sont inégalement disséminés sur l’une et l’autre berge du canal. Comme chaque obstacle, en vertu de la loi précédente, devient un point de passage obligé, les eaux vont de l’on a l’autre, en subissant une suite de réflexions apparentes, dont les points d’incidence sont stables, tandis que le courant intermédiaire varie sans cesse. — Le torrent de Rabioux est un exemple de cette marche sinueuse du courant. Son canal d’écoulement est très-spacieux, et il se prolonge sur une longueur de plus de 1 500 mètres[1].

Après avoir constaté ces deux propriétés, il reste peu de chose à ajouter

  1. J’ai eu sous les yeux un plan de ce torrent, dressé l’an III de la république, et comprenant la partie où il est traversé par la route royale no 94. — En comparant le cours du torrent, tel qu’il est donné par ce plan, à celui qu’on observe actuellement, on remarque de grandes différences. Ainsi, à cette époque, le courant se bifurquait, et l’auteur du plan proposait l’établissement d’un pont sur chacune des deux branches : ce qui semble annoncer que cette disposition était alors considérée comme stable. Aujourd’hui il n’y a plus qu’un courant unique, et les eaux passent sous un seul pont. — Mais ce qui est remarquable, c’est que deux points d’incidence indiqués sur ce plan, sont exactement les mêmes que ceux sur lesquels le torrent frappe encore aujourd’hui.