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les fruits ne seraient mûrs que pour une postérité aux destinées incertaines, qui, enfin, se présenterait à nous comme perdue dans les vapeurs d’un avenir lointain, pour lequel beaucoup de nous n’ont, malheureusement, ni de sympathie, ni de foi ?

Mais hâtons-nous de faire voir que cette opinion n’est pas fondée.

En effet, de quoi s’agit-il principalement dans tout ce que nous proposons ? — De détruire les torrents. Eh bien ! pour en arriver là, il n’est pas indispensable d’attendre que les torrents soient ensevelis sous une couche de hautes forêts ; il suffit que le sol soit tapissé de gazon, de broussailles ou d’arbustes. — Les broussailles, aussi bien que les arbres, consolident la surface du sol, divisent les courants qui tendent à le raviner, empêchent la concentration subite des eaux, et en absorbent une certaine portion dans l’humus qu’elles entretiennent à leur pied. Tout cela, nous le savons déjà, et les exemples se pressent pour l’attester.

Or, à une pareille végétation, il faut très-peu de temps pour se rendre définitivement maîtresse du sol. S’il faut soixante ans pour créer une véritable forêt, s’il faut plusieurs siècles pour parvenir à boiser certains revers déchirés, où les obstacles redoublent en nombre et en puissance, il suffira de quatre à cinq années pour couvrir un terrain de broussailles. C’est là ce que prouve l’expérience de beaucoup de quartiers mis à la réserve, et auxquels il n’a pas fallu plus de temps pour se montrer revêtus de cette utile armure.

Est-ce à dire, par là, qu’il faille se contenter de produire des broussailles même là où l’on pourrait immédiatement créer une forêt ? — Non ; car les bois donnent de la valeur aux terrains qu’ils recouvrent : ils emportent d’ailleurs avec eux des éléments nouveaux de régénération, qui ne se rencontrent pas dans les broussailles. Considérons seulement cette menue végétation comme destinée à précéder la grande végétation des forêts sur les terrains où celle-ci aurait trop de peine à s’installer tout d’abord. Après les arbustes viendront les arbres, et la forêt complétera plus tard l’œuvre commencée par les modestes buissons.

Ainsi, il faut concevoir le résultat de l’entreprise, comme se séparant en deux effets. — l’un, qu’on peut considérer comme immédiat, produit par l’apparition de l’herbe ou des arbres naissants, et qui se manifestera de suite par l’extinction ou par l’affaiblissement des torrents ; — le second, plus lointain, qui n’arrivera qu’à la suite des forêts, et dont l’importance sera développée tout à l’heure. — Mais, en ne considérant que le premier