Page:Sulte - Historiettes et fantaisies, 1910.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

HOMMES FORTS



J’AI vu Grenache lever la jambe et casser du bout de son pied le bras d’un colosse qui s’avançait sur lui, armé d’un bâton.

J’ai vu Duhaîme prendre à pleines mains et sortir de la foule un batailleur redouté, puis, le replantant sur ses quilles, lui dire avec une bonhomie charmante :

— Comportez-vous mieux — ce n’est pas joli.

Le capitaine Labelle me montrait un jour une chaloupe attachée à l’arrière du Québec : — Voyez donc, me dit-il, l’imprudence des promeneurs : à peine aurons-nous fait deux tours de roue que la vitesse du navire fera chavirer cette embarcation comme une mitaine.

J’avisai Jack Naud qui rôdait aux environs et, en deux mots, lui contai l’affaire. Il sourit, empoigna la chaîne qui retenait la chaloupe, tira à lui, en goguenardant, et embarqua « toute la boutique » à bord du Québec, en moins de rien. Ce fut une affaire d’importance lorsqu’il s’agit de mettre à terre ce « passager » que cinq hommes remuaient avec peine.

J’ai vu Javotte Rouillard emporter sur son épaule un cochon gelé qui pesait deux cents, et que le boucher, propriétaire de la pièce, avait fait placer, par malice, en travers du chemin de la dite Javotte. Sachez que nous avons aussi nos femmes fortes ! Javotte tenait de son père une puissance de muscles qu’elle a transmise en

91